Workshops

Protocole de récits

Plusieurs départs de récits sont possibles dans ces cartes, par le mouvement d’amont en aval, par le centre (l’atmosphère) vers la périphérie (roches) ou inversement ; ou de capteur en capteur (par sauts) ; ou depuis la structure principale (la matrice) vers les détails ; depuis les faisceaux ou les instruments. Ou bien ne pas rechercher un sens unique à la carte : aborder le récit par un fil narratif construit collectivement tel un cadavre exquis (chacun écrit une phrase et la passe à son voisin), qui favorise des régimes d’expressions variées dans un même texte (interrogation sur la matrice, descriptifs, etc).

Les cartes sont produites en amont à partir d’interviews, d’enquêtes de terrain, visites des observatoires avec les instruments, récoltes de données qualitatives et quantitatives non hiérarchisées (voir Fieldwork).

La carte est ensuite imprimée et disposée sur une table autour de laquelle les participants s’installent. Un moment de discussion spontanée démarre pour comprendre les paramètres de la carte. La cartographe donne quelques éléments de compréhension : la structure (atmosphère au centre, roches en périphérie), la graduation des échelles, le sens amont / aval, le lieu de l’observatoire, et enfin le fait que la carte soit fabriquée à partir des points de vue des capteurs environnementaux placés par les scientifiques. 

Puis le workshop est lancé. La consigne est que chacun démarre un récit en une phrase puis passe la phrase à son voisin, qui écrit la sienne, cache celle qu’il a reçu et passe la sienne à son tour à son voisin, et ainsi de suite jusqu’à ce que chacun retrouve sa première phrase. Cette phrase peut avoir des contenus divers : questionnement, description à partir de différents éléments. La carte peut être lue par des bouts différents, à partir de différents points d’entrées, chacun.e est libre de définir ces points d’entrées, puis d’en infléchir ou d’en renforcer les directions pendant le tour, puis à en trouver une fin. 

A la fin du tour, chaque participant lit la feuille qu’il a reçu/retrouvé. Son point d’entrée a permis le déroulement d’un récit et d’une fin dont il n’a pas maîtrisé le parcours, tout comme il a contribué à faire dévoyer certains récits. L’authorship est amoindri dans cet exercice qui ne consiste pas à juger de talents d’écriture mais bien à proposer un récit plausible et à poser des questions. 

Une compilation de ces récits est proposé dans les booklets ci-dessous pour chacun des trois observatoires.

Commensurabilité et objet-frontière

La méthode du récit cadavre-exquis permet d’écrire des phrases courtes, potentiellement audibles pour les autres. Cela permet de ne pas s’enfermer dans son propre récit et de développer sa propre pensée dans celle et à la suite de celle des autres. Le récit est flexible, plastique, mais quelque fois un peu abrupt (il faut ensuite le reprendre pour le rendre plus fluide). Les expériences de découverte et de partage sont simultanées. On peut se confronter à la vision des autres : à quels éléments chacun.e est-il le plus sensible ? Comment prolonger ou infléchir la réflexion et ce qui sera donné à lire à l’assemblée provisoire ? 

La carte a vraisemblablement agit comme objet-frontière pour la création d’un début de récit collectif à même de renouveler la description puis les usages d’un territoire. Un récit entre sciences humaines, sciences de l’environnement, et société civile, puisque des membres représentant de ces catégories participaient à l’expérience. De façon non hiérarchique et non cloisonnée la méthode permet une première discussion sur ce que l’on sait, ce que l’on croit savoir, et ce sur quoi on s’interroge. 

La notion centrale qui se dégage de ce travail est donc l’objet-frontière, concept fondé par Star et Griesemer, qui renvoie à des modes de connaissances non standardisés et admet une certaine flexibilité, afin d’instaurer ce renouvellement nécessaire de notre compréhension des objets de nature[1]. La représentation de l’espace terrestre sous forme d’un plurivers traverse à l’évidence les frontières disciplinaires et engage une interrogation collective sur les conditions de visualisation et de mise en récit des nouveaux mondes découverts.


[1] Les cartes standardisées, SIG, satellite, furent, rappelons-le, un temps des objets frontière, il y a aujourd’hui une prolifération de cartes ressaisies par des communautés de pratiques pour les adapter à leurs enjeux : cartographies radicales, cartographies sensibles, cartographies critiques, et nous ajoutons ici une nouvelle catégorie : les cartographies potentielles.